Une belle page sur la création
https://saint-martial.org/spectacles-festival-avignon/pourquoi-faire-du-theatre-en-camionnette
Bonne soirée! corinne 🐾
https://saint-martial.org/spectacles-festival-avignon/pourquoi-faire-du-theatre-en-camionnette
Bonne soirée! corinne 🐾
"Liliom", des lumières de la fête aux ténèbres de la misère… spectacle !
Liliom, pièce plus que centenaire de Ferenc Molnár, continue de distiller ses images, son ambiance et son ton qui oscille sans cesse entre la farce du ridicule de la vie et le drame qui en est la pulsation. Si l'on s'amuse à voir cette pièce comme une représentation du monde, eh bien alors, le monde est une fête foraine qui brille de ses mille lumières et de ses musiques entraînantes. Mais lorsque les manèges s'arrêtent et que les ombres et le silence envahissent l'espace, alors les côtés moins glamours des humains se déchaînent.
© Antoine de Saint Phalle
Dans ce monde, au tout début de l'histoire, Liliom est une
sorte de prince. Prince des bonimenteurs. Champion des hâbleurs. Roi des
séducteurs. C'est lui qui tient le micro et sa veste brille de reflets satinés.
Il est comme une star de radio crochet. Et il crochète les cœurs de toutes
celles qui s'approchent. La plupart sont des boniches, des servantes, des
soubrettes, toutes filles simples venues de la campagne s'engager auprès de
patrons de la ville pour lesquels elles deviennent corvéables à merci. À la
fête foraine, elles parviennent à prendre un peu de poudre aux yeux et reposer
leurs mains abîmées dès vingt ans. C'est un rêve, un droit populaire, elles qui
n'en ont pas beaucoup.
Elles y trouvent un peu d'amour aussi, des fois. C'est le cas de Julie, toute
jeune boniche, qui s'entiche de Liliom presque sans le vouloir. Une histoire
d'amour qui se noue à cause des circonstances. À cause des paroles. À cause de
l'enchaînement des répliques, presque. Par hasard. Il n'y a rien de romantique
dans la manière dont ces deux-là vont lier leurs sorts. Il y a plutôt une sorte
de fatalité. Un dénuement de mots, de désirs, de sentiments et pourtant quelque
chose d'inexprimable rend cette relation forte. L'inexprimable.
© Antoine de Saint Phalle
Au moment de la rencontre, lui a une vie bien installée,
confortable, un bonimenteur admiré, choyé par la patronne du manège qui le
convoite (Mme Muscat, interprétée avec une démesure magnifique par Isabelle
Bonillo), et séducteur jamais en manque de chair fraîche. Julie aussi semble
plutôt bien lotie, embauchée dans une maison où elle a trouvé une amie dans une
autre bonne. Et tous deux vont, à cause de leur rencontre, perdre leur
situation respective. D'un coup. Comme un mauvais sort. Et c'est le début de la
misère. Une misère sociale qui s'accompagne de mal logement, de manque
d'argent, de faim, d'alcool, de jeu, de coups, mauvais coups, coups de couteau.
Mais cette pièce n'est pas une pièce réaliste, elle est autant allégorie que
fable. Car si la vie se déroule dans un monde qui est aussi faux qu'une fête
foraine, la mort, elle aussi, a des airs de farce ou de fable. Et Liliom ne
trouve même pas grâce auprès des instances paradisiaques. Pas à cause du manque
de commisération de celles-ci, mais bien à cause du mauvais garçon qui ne
parvient pas à réparer ses fautes.
© Antoine de Saint Phalle
L'adaptation et la mise en scène de Myriam Muller met
l'accent sur le côté humain des personnages, gommant les vieilleries de langage
pour leur donner une voix contemporaine. Pourtant, c'est bien la difficulté à
dire, à s'exprimer qui semble diriger, épisode après épisode, Liliom et Julie
qui ne parviennent pas à exprimer leurs sentiments. Ils ne savent pas dire.
Comme si leur culture, leur morale, ou quelles que soient leurs échelles de
valeur, les empêchaient d'exprimer ce qu'ils ressentent. La pudeur, peut-être.
L'honneur parfois, lorsque Liliom refuse de retourner travailler chez la
patronne du manège…
Sur scène, un très beau dispositif sur plusieurs niveaux tourne sur lui-même.
Des chambres, des cuisines, des escaliers, des trappes, des échappées, tous
imbriqués, rendent parfaitement compte de l'exiguïté des logements où réside
tout ce petit peuple pauvre. À tous les niveaux, les interprètes (également
chanteurs et musiciens) apparaissent et s'effacent suivant les besoins, comme
dans un drôle de jouet géant.
Tous sont tous imprégnés par leurs personnages, totalement crédibles,
magnifiquement gouailleurs, authentiquement gueulards, fêtards et furies. Cela
a parfois des airs d'opéra des gueux. Mi-théâtre, mi-musical. Avec une mise en
scène qui donne une belle part au jeu et qui parvient à jeter des froids
bénéfiques quand la violence de l'homme se déchaîne sur la femme. Petit rappel
de la réalité dans cette farce grandiose.
Vu au Théâtre Le Kiasma à Castelnau-le-Lez, dans le cadre du Printemps des
Comédiens, le 2 juin 2024
Légende de banlieue en sept tableaux de Ferenc Molnár.
Traduction du hongrois : Alexis Maori, Kristina Rády et Stratis Vouyoucas
(éditée aux éditions Théâtrales).
Adaptation et mise en scène : Myriam Muller.
Assistant à la mise en scène : Antoine Colla.
Avec : Mathieu Besnard, Sophie Mousel, Isabelle Bonillo, Manon Raffaelli, Raoul
Schlechter, Jules Werner, Valéry Plancke, Jorge De Moura, Rhiannon Morgan,
Clara Orban, Catherine Mestoussis.
Scénographie : Christian Klein.
Costumes : Sophie Van den Keybus.
Lumières : Renaud Ceulemans.
Vidéos : Emeric Adrian.
Direction musicale : Jorge De Moura et Jules Werner.
Création sonore : Patrick Floener.
Couture : Manuela Giacometti.
Habillage : Anna Bonelli et Fabiola Parra.
Maquillage : Joël Seiller et Laurence Thomann.
Accessoires : Marko Mladenovic.
Production : Les Théâtres de la Ville de Luxembourg
À partir de 12 ans.
Durée : 1 h 30.
A été joué au Théâtre Le Kiasma, Castelnau-le-Lez (34), du 31 mai au 2 juin
2024, dans le cadre de la 38ᵉ
édition du Printemps des Comédiens (du 30 mai au 21 juin 2024).
>>
printempsdescomediens.com
Tournée
Du 12 au 14 juin 2024 : Théâtre du Nord - CDN Lille-Tourcoing-Hauts de France,
Lille (59).
Du 19 au 21 juin 2024 : Théâtres de la ville de Luxembourg.
Mardi 4 Juin 2024
1er juin 2024
Naturellement
Du vert, on en a plein les yeux. Et plein les mains – à ceci près qu’au seuil de juin, mois des roses, c’est plutôt des limaces que je cueille dans mes salades. Et plein les oreilles aussi, rabattues par une campagne … électoralement pollinisée par le vivant, sa résilience et sa vulnérabilité.
Du vert, j’en colle à mes semelles depuis que je tiens debout. À croire que le bonheur est dans le pré – et ce n’est pas faute de régulièrement me raconter à travers de belles échappées dans les chemins creux.
En tout cas, se raconter, c’est ce qui taquine mon encre verte du jour. Trempée dans deux parcours de vie. Deux parcours de comédiennes. Celui de Marja-Leena Junker et celui d’Isabelle Bonillo, tous deux transcrits en spectacle.
Sur scène, Isabelle Bonillo, la nomade, arpente tout un pan de son aventure théâtrale depuis l'enfance, jusqu'à monter sa propre utopie en forme de Camion-Chapiteau, qui tourne depuis 18 ans. Au point de devenir un personnage, un complice, aussi convaincu qu’elle de la nécessité d’aller au-devant du public, là où il se trouve, en des lieux parfois improbables. Ce faisant, Isabelle inscrit son destin personnel dans le parcours familial, perfusé par les grands remous du monde. Le résultat, intitulé Pourquoi faire du théâtre en Camionnette – programmé au TOL (Théâtre Ouvert Luxembourg) du 6 au 8 juin – est tout à la fois touchant, passionnant et très ludique. Je vous explique en fin de post.
En 2025, Canopée Produktion Asbl fêtera ses 10 années d’engagement pour l’expression artistique sous toutes ses formes, tout en renforçant les liens entre créateurs et communauté locale, mais notez déjà son grand «RDV au jardin» du 8 septembre, avec les noces renouvelées de la performance théâtrale et du langage potager.
Canopée, un parcours unique…
Tout comme l’est celui d’Isabelle Bonillo, une enfant de la balle…
© Fred Burnier
«La» Bonillo, c’est un personnage attachant et artistiquement atypique, une comédienne phénomène particulièrement imaginative, un lutin trublion tombé dans la marmite de cet art vivant qu’elle ne conçoit que participatif, donc impliquant une communion avec un public qui ne fréquente pas les lieux institutionnalisés/consacrés. Isabelle mouille sa chemise pour l’amour d’un théâtre populaire et décentralisé, donc, mobile, avec, pour la cause, une camionnette transformable en chapiteau, ce qui comble son envie de faire du théâtre librement, surtout autrement, tout en esquivant le problème de l’étranglement des salles.
Ceci dit, Isabelle se produit parfois en salle(s)…
Parfois engagée dans une production, comme dans le cas de Liliom ou la vie et mort d'un vaurien, pièce de l'écrivain hongrois Ferenc Molnár, spectacle tragicomique sur fond de fête foraine mis en scène par Myriam Muller qui, aujourd’hui, en tournée de Montpellier à Lille, glane la rançon du succès – et la bonne nouvelle, c’est que ce spectacle, créé en novembre 2021, revient à Luxembourg au Studio du Grand Théâtre du 19 au 21 juin.
Sinon, en transposant les ressorts de son originale création nomade sur les planches d’accueil de certains théâtres. La preuve avec sa version de Une Tempête d’après Shakespeare, servie en 1h12 (en 2018) par une Bonillo inspirée. Ou avec Les Misérables de Victor Hugo, en 2023, au TNL, revisitant au galop la monumentale fresque en veillant à cette interaction enjouée avec le public dont elle s’est fait une spécialité, interprétant seule tous les personnages, déchaînée au milieu de chaises symbolisant des barricades pour parler de précarité et de l’importance de renouer les liens sociaux – notez que là où ils passent, Les Misérables font toujours un tabac.
La singularité de l'artiste Bonillo, accrochée à son accordéon, c’est une création faite d’objets récupérés, c’est une audacieuse mais efficace réécriture, audible par le public, sans rien brader de l’essentiel, c’est toujours faire rebondir un texte d’hier dans les fureurs de notre présent.
Cette fois, dans sa nouvelle création, Pourquoi faire du théâtre en Camionnette – en Ford Transit en l’occurrence –, Isabelle ne rend pas hommage aux grands classiques de la littérature (dont on croit tout connaître), non, elle parle d’elle. Sauf que son récit relève non pas du déballage narcissique mais d’une utopie devenue possible – 18 ans durant –, surtout, c’est une histoire d’héritage: c’est que «défendre le concept de théâtre-chapiteau ne vient pas que de moi, mais du nomadisme de ma famille». Lié à la Grande Histoire.
Et le récit de parler de l’itinérance depuis l’antiquité grecque, celle-là qui, allant vers le public, permet la démocratisation de la culture, puis d’embarquer l’arrière-grand-mère rejoignant la Suisse avec ses 2 enfants en poussette, de croiser le grand-père prisonnier en 1939 au Stalag VII en Allemagne, de télescoper l’indépendance de l’Algérie, de mêler ses souvenirs d’enfant (née à Strasbourg) aux déplacements de ses parents comédiens, témoins/acteurs de la décentralisation théâtrale, de l’aventure du Théâtre Populaire, à Rennes, Amiens, Marseille. Le périple est foisonnant, qui croise anecdotes à rebours et expériences personnelles (dont celle d’Isabelle jouant, petite, dans les décors), avec humour et émotion(s) à tous les étages.
Sur scène, pas de camionnette, mais de l’image projetée décrivant faits, lieux ou rôles. En tout cas, le récit, choral, implique trois personnages (visuel ci-dessus, photo ©Fred Burnier): Isabelle, certes, et un garçon, Nicolas Ruegg, au statut poétique, sinon onirique, «apparaissant notamment au gré de costumes enfilés, donnant une voix, une âme au Camion endormi», et une fille, Catia Machado, au statut pragmatique, boostant mécaniquement car, «à un moment, le Camion, n’y croit plus, et c’est par le récit qu’il redémarre».
Le public est prévenu, il aura lui aussi un rôle à jouer, «car on lui demandera son avis…»
En clair, rendez-vous inconditionnellement, et sans modération, les 6, 7 et 8 juin, 20.00h, au TOL (Théâtre Ouvert Luxembourg),143 route de Thionville, réserv. tél.: 49.31.66, ou www.tol.lu
Le spectacle vous attend également dans le Off du Festival d'Avignon – lequel festival commence plus tôt cette année, dès le 29 juin, pour cause de Jeux Olympiques –, ce, à l'Espace St-Martial, tous les jours à 18.55h, jusqu'au 21juillet (relâche dimanche 30 juin & 7,14,21/07). Réserv. tél.: 00.33.4.86.34.52.24.
Avec la soutien du ministère de la Culture